Les Restos du Cœur sur le pied de guerre face à la crise grâce à plus de 257 millions de dons

« Normalement, ça permet de tenir trois jours. » Toutes les semaines, la centrale livre les produits de base, « et nous organisons aussi des “ramasses” auprès de trois supermarchés dans le coin, qui nous donnent leurs produits périssables ou invendus. Ça permet d’améliorer l’ordinaire avec des denrées qu’on ne nous fournit pas comme l’huile, le sucre, le café », explique Pierre Bonhoure.

Un million de bénéficiaires

Le centre de Pessac prévoit de distribuer l’équivalent de 45.000 repas pour les seize semaines d’hiver. « On voit des familles, pas mal de mères célibataires, des étudiants, des chômeurs qui ont épuisé leurs droits, des travailleurs pauvres, des retraités sans un sou« , explique le directeur. « Venir ici, ça me permet de cuisiner de vrais bons plats, confie Fikria, mère de deux jeunes enfants, loin de joindre les deux bouts avec quelques heures de ménage. Pour le reste, on coupe sur tout, j’éteins même le chauffage la nuit. »

Les bénévoles, Josiane, Martine, Patricia, Gisèle, un brin maternantes, s’y entendent pour entretenir une bonne ambiance. Thomas, léger handicapé mental, s’attarde: « Ici, ce n’est pas que pour la nourriture, les gens sont gentils, ça fait du bien. » Yulia, réfugiée ukrainienne, un peu perdue, se fait guider par Nana, sa fille de 12 ans, qui accepte un bonbon et glisse en partant un candide « merci la France ».

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La « petite idée » de cantine gratuite lancée par Coluche a bien grandi. Il avait réussi à la concrétiser en janvier 1986, en montant un show télévisé avec un parterre de stars, de Jean-Jacques Goldman (auteur de la fameuse chanson) au footballeur Michel Platini, qui avait ouvert le cœur du grand public. A l’époque, 8,5 millions de repas avaient été distribués pour passer l’hiver. La mort du trublion dans un accident de moto seulement neuf mois après le début de l’aventure caritative n’a pas interrompu l’élan de générosité. Sa femme Véronique Colucci (décédée en 2018) a repris le flambeau et les Restos sont devenus une institution de la solidarité en France, qui a donné l’an dernier l’équivalent de 142 millions de repas tout au long de l’année à plus de 1 million de personnes.

Près de 100.000 bénévoles

Portée par le souvenir, vivace, de l’humoriste populaire et par la locomotive, efficace, des Enfoirés et sa cohorte de VIP – du rappeur Soprano à l’attaquant des Bleus Kylian Mbappé -, c’est l’association préférée des Français. Elle compte 117 antennes locales, 2.000 centres d’aide, une quarantaine de camions du Cœur sillonnant les zones rurales, et organise même des maraudes dans les rues. Et son activité ne se limite plus à l’aide alimentaire. Elle propose des cours de français, de cuisine, de l’accompagnement juridique, budgétaire, de l’hébergement d’urgence, des chantiers d’insertion, des microcrédits, du soutien scolaire, des vacances pour les jeunes…

Plus de 70.000 bénévoles réguliers et 23.000 occasionnels lui prêtent main-forte partout en France, dont 10 à 15% sont aussi des personnes accueillies. « Coluche, comme l’Abbé Pierre et Mère Teresa, donnent un visage humain à la solidarité; ils inspirent encore aujourd’hui les 15 millions de Français engagés dans le bénévolat, ce qui bénéficie à toutes les associations », remarque Frédéric Théret, directeur du développement de la Fondation de France.

Mais cette année, le président des Restos du Cœur Patrice Douret lance l’alarme: « Les crises s’accumulent: Covid, guerre en Ukraine et maintenant la flambée de l’inflation, qui amène un nouveau flux de précaires et plonge dans l’extrême pauvreté ceux qui étaient déjà là. Plus de 60% de nos bénéficiaires, une fois loyer et factures payées, n’ont que 550 euros pour passer le mois. De l’autre côté, le coût de nos achats alimentaires et nos factures d’électricité augmentent. Certains de nos bénévoles ne peuvent plus venir à cause du coût de l’essence. Et nous avons nombre de donateurs aux revenus modestes qui risquent de moins nous aider. » Mais pas question pour autant de baisser les bras. Au contraire, l’association a décidé de prendre en compte les factures d’énergie pour calculer le reste à vivre, ce qui va élargir le nombre de bénéficiaires.

Loi Coluche incitative

Et Patrice Douret, pour « casser la pauvreté dès le berceau », souhaiterait mieux prendre en charge les 110.000 bébés qui viennent aux Restos. Aujourd’hui, 400 centres petite enfance leur sont réservés, où l’on distribue couches, lait en poudre, petits pots. Il voudrait que chacun de ses 2.000 centres ait un espace pour les 0-3 ans.

A visiter celui du quartier populaire de Bacalan, à Bordeaux, qui accueille les bébés jusqu’à un an, on comprend l’intérêt. Avec ses airs de crèche, dessins aux murs et mobiles au plafond, les bambins et mamans – pour la grande majorité en solo -ont ici un lieu pour souffler et les bénévoles du temps pour mieux les accompagner. La plupart sont sans-emploi, certaines sans-papiers. « Souvent, elles sont isolées, dépréciées, ici, on les écoute », souligne Martine Delavierre, la responsable. « C’est comme ma deuxième famille », appuie Cynthia, venue de loin, qui se voit offrir un café tandis que son petit garçon triture un doudou qu’une bénévole lui a déniché.

Resto Bébés du Cœur, dans le quartier Bacalan, à Bordeaux. Pour offrir un espace aux tout-petits dans chacun de ses 2 000 centres, l\'association a besoin de 15 millions d\'euros. Crédit : Photos : S. Ortola/Réa pour Challenges

Resto Bébés du Cœur, dans le quartier Bacalan, à Bordeaux. Pour offrir un espace aux tout-petits dans chacun de ses 2 000 centres, l’association a besoin de 15 millions d’euros.

Resto du Cœur de Pessac, dans la banlieue de Bordeaux. Cette antenne locale prévoit de distribuer l\'équivalent de 45.000 repas pour les seize semaines d\'hiver. L\'an dernier, sur tout le territoire, 142 millions ont été répartis.

Resto du Cœur de Pessac, dans la banlieue de Bordeaux. Cette antenne locale prévoit de distribuer l’équivalent de 45.000 repas pour les seize semaines d’hiver. L’an dernier, sur tout le territoire, 142 millions ont été répartis. (Photos: S. Ortola/Réa pour Challenges)

Mais pour ce beau projet, il faut environ 15 millions d’euros. Pour encourager les dons, les Restos sont bien aidés par l’activisme de son fondateur au grand cœur, puisqu’en 1988, une « loi Coluche » a été votée, qui accorde une déduction fiscale spécialement avantageuse, de 75%, aux « organismes d’aide aux personnes en difficulté ». Le saltimbanque a aussi plaidé pour la cause au Parlement européen, ce qui a mené à la création en 1987 du Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD), qui fournit aux Restos des denrées représentant un repas sur quatre. L’association reçoit également quelques aides publiques, mais 71% de son budget dépend de la générosité des Français, particuliers et entreprises.

Frais généraux réduits

Pour doper sa collecte, Véronique Linarès, responsable du pôle ressources, multiplie les événements et partenariats. Et chaque centime dépensé est scruté de près: les frais généraux ne représentent que 5,5% des ressources. De quoi donner confiance aux donateurs, comme ce couple de cinquantenaires franciliens qui signe chaque année un chèque à cinq chiffres. « Avec les Restos, on ne nourrit pas une grosse machine qui s’auto-entretient: nos dons ont une utilité tangible », souligne Stéphane, chef d’entreprise. Christine, son épouse, profession libérale, évoque aussi la proximité avec les artistes: « Les Restos renvoient une image joyeuse grâce à Coluche mais aussi Jean-Jacques Goldman et Les Enfoirés. On n’est pas dans le misérabilisme. »

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D’autres donateurs ont une raison intime d’êtres prodigues, comme Claude, dont la fille, hospitalisée pour dépression, a fait appel aux Restos du Cœur dans la région lyonnaise en 2005, pendant deux ans et demi, le temps de retrouver un équilibre financier. « Depuis cette date, nous avons décidé avec mon mari de soutenir l’association via un prélèvement mensuel. C’est une façon de remercier », raconte Claude, désormais grand-mère. Il n’empêche, en 2021-2022, les recettes liées à la générosité du public ont reculé de 5%. Il reste jusqu’au 31 décembre pour inverser la tendance tout en réduisant ses impôts. Pour rendre hommage à Coluche qui disait: « J’en ai marre de voir les pauvres crever de faim au pays de la bouffe. »

(avec Agnès Lambert)

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