Tout près de chez elle, Zazie a vu apparaître une nouvelle pauvreté. « La précarité des jeunes s’est accélérée ces derniers mois. Récemment, sur une place de l’Est parisien, je voyais un jeune étudiant dormir dans sa voiture. J’en connais d’autres, tout maigres, qui m’ont confié avoir trouvé cette ruse : se réveiller à 14 heures afin de sauter un repas. »
Pour la chanteuse, qui a rejoint les Enfoirés il y a vingt-sept ans, quelque chose a changé. Les concerts pour les Restos du cœur sont l’une des fêtes préférées des Français, mais cette fois, en coulisses, « l’ambiance est à la hauteur de l’urgence ». Les bénévoles étaient encore de la partie, même leur président, Patrice Douret, est resté trois jours. Signe que l’association, plus que jamais, a pris la mesure de la crise. « Ses équipes sont les mieux placées pour mesurer le niveau de la pauvreté en France en ce moment. »
La « petite idée comme ça » devait durer un hiver. Et puis les restos de Coluche ont poussé sur le bitume, terreau des galères. La générosité a fleuri sur la dalle. Ça fait trente-neuf ans que les cantines gratuites sont un refuge pour des vies charriées par la détresse. Mais « les digues sont en train de lâcher », a prévenu cet automne Patrice Douret. Jamais les Restos du cœur n’ont connu une croissance de leur fréquentation aussi rapide et aussi forte. Les laissés-pour-compte ne cessent d’affluer, pris par les crampes, la fatigue et les vertiges, les sales tenailles de la faim. Ils étaient 1,3 million l’année dernière, 200 000 de plus qu’en 2022. L’équivalent d’une grande ville.
Les demandes explosent sur tout le territoire : de 15 % à 20 % d’augmentation dans chaque département, en zone urbaine comme en pleine campagne. En plus des 2 300 lieux d’accueil en France, les bénévoles doivent aujourd’hui prendre la route jusque dans les villages. Une soixantaine de camions ravitaille ceux qui n’ont même plus de quoi se payer l’essence pour aller chercher de l’aide. Les années 1980 ont accouché de leurs « nouveaux pauvres », les exclus du travail. Impossible d’établir un profil type des démunis qui passent désormais la porte de l’association, tant la précarité progresse dans tous les milieux et touche tous les âges.
L’actrice Élodie Fontan, qui a intégré la troupe des Enfoirés en 2018, l’a constaté : « Autour de moi, ces derniers temps, des amis et des familles s’angoissent parce qu’ils peinent à boucler leur fin de mois. Partout le phénomène s’aggrave. En 2023, les Restos du cœur ont distribué 171 millions de repas. C’est 30 millions de plus que l’année précédente ! »
Le Covid, la guerre en Europe et l’inflation monstre ont fait des ravages et mis au jour une dimension invisible : la légion de ceux qui parvenaient in extremis à joindre les deux bouts. Alors que le prix des pâtes a bondi de 23 % en 2023, celui des fruits et légumes de 21 % et celui du sucre de 57 %, des étudiants, des retraités aux petites pensions, et même des travailleurs ont basculé dans le besoin et sont venus grossir les files d’attente des centres d’accueil.
Beaucoup pensent encore les cantines de Coluche réservées aux sans-abri. Ils ne sont que 5 % parmi les bénéficiaires. En 2023, la moitié étaient locataires. Alors qu’avoir un toit constitue le premier poste de dépense des ménages en France, l’association est devenue l’ultime recours de ceux qui traînent leur logement comme un boulet. Pour 38 % des foyers aidés, la fin du mois commence dès le 1er : même plus un euro après s’être acquitté du loyer et des charges locatives. Une réalité frappe : la fragilisation des femmes. Et la féminisation de la pauvreté. Un quart des familles accueillies dans les centres sont monoparentales ; 9 fois sur 10, ce sont les mères qui s’occupent seules des enfants.
« J’ai de la chance d’avoir un confort de vie, mais je sais ce que c’est d’être maman, confie Élodie Fontan. La fatigue psychologique de se battre pour faire au mieux pour ses enfants. En tant que femme, je m’engage aussi pour apporter du soutien à ces mères. Leur fournir des repas pour leur famille mais aussi un peu d’air. »
Les bénévoles sont témoins. Ils écoutent leurs histoires, leur détresse : alors que le prix des produits essentiels flambe, beaucoup de ces femmes sont soumises à l’épreuve des arbitrages. Un litre d’essence ou un litre de lait maternisé. Manger ou acheter des couches. Les bébés sont les tristes bénéficiaires en constante augmentation. En 2023, la moitié des personnes aidées avaient moins de 25 ans. Parmi elles, 126 000 enfants de moins de 3 ans nés sous le sceau de la dèche ; 16 000 de plus qu’en 2022.
Pour ces êtres humains si fragiles, arrivés sur terre avec une cuillère vide dans la bouche, la précarité prend la forme d’un avenir tout tracé. Les Restos le savent : les nouveau-nés d’aujourd’hui sont sûrement les adultes qu’ils retrouveront demain. Alors, inverser la courbe du destin, malgré les statistiques, c’est aussi le combat qu’ils mènent. En plus des petits pots, ils fournissent aux mères une aide psychologique, les écoutent, les conseillent dans des espaces dédiés et les accompagnent vers la réinsertion sociale.
Une mission qui risque de confiner à l’impossible tant le mal qui fracture la France frappe aussi l’association. Alors qu’elle achète 30 % des produits qu’elle distribue, l’inflation la force à réduire ses provisions… Pour toujours plus de candidats. Il faut ajouter l’envolée des prix de l’énergie et des coûts de fonctionnement, la chute libre des dons et la fragilisation des bénévoles, dont le taux de défection est en hausse.
Certains n’ont plus de quoi couvrir leurs frais de déplacement jusqu’aux centres, même pour 10 ou 15 kilomètres. L’État leur propose des réductions d’impôt ? Une grande partie n’en paie pas. Dans les rangs des 73 000 bénévoles, on compte beaucoup de retraités et 15 % de bénéficiaires qui retrouvent une place dans la société en donnant de leur temps aux autres, mais qui font partie de la population touchée par la crise. Même les cercles vertueux se vicient… et il devient impossible d’accueillir tout le monde.
En plus de la distribution des repas, des collectes dans les supermarchés, de la gestion des stocks, des inscriptions… les bénévoles doivent apprendre à dire non, le cœur serré. Pour continuer d’exister, aider les plus faibles avec dignité, l’association est contrainte de refuser des demandes. Mais sans laisser personne sur le carreau. Ceux qui viennent l’estomac creux, la honte au ventre, trouvent un café chaud et une oreille pour les écouter. On leur propose même de l’aide pour les démarches administratives, un accompagnement dans la recherche d’emploi ou des activités pour regagner l’estime de soi.
Les digues étaient en train de lâcher, mais les petites fées du cœur ont fait rempart. Et l’appel de leur président a été entendu. Il manquait 35 millions d’euros pour survivre à la campagne d’hiver. L’État, des grandes entreprises et des donateurs anonymes ont prêté main-forte. Même à la dernière minute et même quand ça lui coûte, le pays a encore le sens du don. Mais « la vague ne faiblit pas, rappelle Patrice Douret. Nous ignorons ce que nous réservent les mois à venir ».
L’association, qui assure à elle seule 35 % de l’aide alimentaire en France, peut encore compter sur son armée d’Enfoirés, fidèle au poste depuis trente-cinq ans. Élodie Fontan l’assure : « Tant qu’on aura besoin de moi, il y aura une croix dans mon calendrier. J’aime tant participer à ces concerts. Mais j’aimerais surtout qu’on n’en ait plus besoin. »
Le spectacle annuel et ses retombées produisent 10 % des ressources des Restos. Très concrètement : 14 millions de repas. Malheureusement, les Enfoirés prennent encore rendez-vous avec le public. Au nom d’une petite idée comme ça de la dignité humaine.
Pour Zazie, pas question de se démobiliser : « Une société incapable d’anticiper et d’endiguer ce niveau de pauvreté est pour moi une société malade. Encore plus dans un pays dit développé. Tout cela renforce notre engagement. » Ça fait bientôt quarante ans que Coluche a poussé son coup de gueule au micro d’Europe 1 : « Marre de voir les pauvres crever de faim dans le pays de la bouffe. » Le paradoxe n’a pas pris une ride. La honte non plus.
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