Infos france: Emin Bey, jeune Turc queer qui traduisait le Coran

Infos france: Emin Bey, jeune Turc queer qui traduisait le Coran

Élevé dans une famille turque très conservatrice, Emin a toujours su qu’il était homosexuel. Aujourd’hui, l’étudiant tente de (ré)concilier toutes ses identités dans un pays où les LGBT+ sont désormais pris pour cibles par le président Recep Tayyip Erdogan.

De notre envoyée spéciale à Istanbul,

M. Emin Bey arrive en se frottant les bras : « Depuis le premier tour, j’ai comme une sorte d’eczéma », glisse-t-il. Deux jours avant, Recep Tayyip Erdogan a été réélu pour cinq ans à la tête de la Turquie. Le jeune homme élancé, t-shirt uni noir et jean gris à la mode, nous a donné rendez-vous dans le café où il donne des cours d’ottoman, niché à l’étage d’un immeuble d’une ruelle près d ‘Istiklal. Un de ces lieux « sûrs » pour la communauté LGBT+ stambouliote.

Malgré l’horizon qui s’obscurcit pour les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres de Turquie, Emin, 27 ans, arbore la décontraction et l’ouverture de sa génération : sur son compte Twitter, floqué du drapeau arc-en-ciel, symbole LGBT+, son statut d’étudiant en master de littérature ottomane côtoie celui de sa sérologie. Il se décrit aussi comme « traducteur du coran », contraction de « queer » et de « Coran ». Quelques années, il tient un blog sur lequel il a traduit trois sourates du livre sacré sous le titre « Le Coran traduit par un ex-musulman queer ».

« Ils savent que je suis comme ça »

Volubile, le jeune homme déroule son histoire avec simplicité. Mais sa parole n’a pas toujours été aussie libérée. Originaire de Konya, l’une des villes les plus conservatrices de Turquie, autrefois connue comme « citadelle de l’islam », Emin a grandi dans une famille musulmane qu’il compare aux Hassidiques, cette communauté juive ultra-orthodoxe mise en scène dans la série Peu orthodoxe. « Ma mère est une femme qui porte le tchador et mon père fait partie des hommes qui dirigent la prière à la mosquée », développe-t-il.

Pour autant, poursuivez-il, « je ne considère pas que j’ai eu une enfance difficile et je ne suis pas quelqu’un qui a rompu avec sa famille. Je ne leur cache pas mon identité. Ils savent que je suis comme ça, mais ils complètent ça comme un test que Dieu leur adresse ». Son enfance et son adolescence n’ont pourtant pas été faciles. À 5 ans, se souvient-il, il était déjà « sensible à la beauté des hommes » et « fou » de ce petit voisin d’un fils aîné. Au collège et au lycée, il est la cible de harcèlement. On se moque de sa façon de parler, on le compare à Zeki Müren, du nom de ce chanteur turc des années 1970-1980, connu pour ses tenues extravagantes. « On peut dire que c’était l’une des premières drag queens turques », précise le jeune homme. Un jour, dans le bus scolaire, il reçoit un coup de poing.

« Je me sentais très seul, je n’avais aucun ami. » La culpabilité le ronge. Chez lui, il n’y a pas la télé, mais l’adolescent a trouvé une prière pour se sauver de l’homosexualité. Alors tous les jours, il s’enferme dans sa chambre et il prie. C’est la série américaine Queer comme Folk qui va lui offrir une fenêtre sur le monde. Une révélation : non seulement il découvre le plaisir de voir deux hommes s’embrasser à l’écran. Mais surtout, il se rend compte que l’homosexualité se vit parfois au grand jour. « Avant ça, je pensais que tous les enfants comme moi – s’il y en avait d’autres ! – étaient condamnés à rester enfermés chez eux et à prier en pleurant pour que ça change. »

Les hommes, le Coran et l’ottoman

Un garçon vient s’installer à une table près de nous. « Son copain. » Il prend des cours d’ottoman. Ils se sont connus sur une application de rencontre. « Au départ, c’était seulement sexuel, mais après, c’est devenu un peu plus culturel », plaisante-t-il. Depuis un an, ils sont ensemble et vivent sous le même toit.

Ce n’est qu’en arrivant à Istanbul pour ses études qu’Emin vit ses premières histoires. Il participe au club LGBTI de son université avant qu’il ne soit fermé par la direction. Il découvre les fêtes, les boîtes et bars gay secrets, et commence à « s’afficher ».

C’est cette année-là qu’Emin fait son sortir à sa mère, le jour de son anniversaire. « Ma mère m’a dit que, quoi qu’il se passe dans la vie, elle m’aimerait toujours. Mais elle a quand même pleuré un peu, raconte le jeune homme. Elle a fait une sorte de prière en demandant qu’Allah m’aide à retrouver le droit chemin et que je n’adopte pas un mode de vie qui compromette mon salut. Elle m’a aussi fait promettre de ne jamais arrêter de croire en Allah. Je lui avait promis… Mais ça ne s’est pas passé comme ça », sourit-il.

Emin résume en souriant, de ses yeux expressifs : « On attendait de moi que je ressente de l’amour pour un Allah que je ne voyais pas, mais moi, je préférais aimer des hommes que je pouvais voir en chaise et en os. » Ça ne l’empêche pas de se passionner pour le Coran. « Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre l’époque où il a été écrit. J’éprouve le même plaisir qu’à regarder les hommes. »

Son autre passion, c’est l’ottoman ou turc ancien, la langue officielle de l’Empire ottoman jusqu’en 1923. Une sorte de « fétichisme », affirme-t-il. « Je me promène dans les cimetières ottomans pour lire les pierres tombales », explique-t-il. Sa famille, « anti-kémaliste », lui a appris à lire et à écrire la langue de l’Empire, formée de caractères arabes, abandonnée sous Atatürk, qui a imposé l’alphabet latin. « Ce qui fait souvent dire aux anti-kémalistes que les Turcs sont devenus ignorants en un jour, car ils n’avaient plus accès à 600 ans d’histoire ottomane. » Il nous montre une vidéo qu’il a partagée sur Twitter : on y voit sa main, ornée de vernis à ongles, en train de décrypter une inscription. « Quelqu’un m’a retweeté en disant :  » Pendant que les pro-AKP pleurent le fait que leurs enfants ne peuvent pas lire l’ottoman, un pro-CHP [parti de l’opposition, NDLR], gay et laïc, est capable de lire l’ottoman. » Ce retweet a eu près de 30 000 likes. Mais cela a dérangé aussi beaucoup d’islamistes radicaux. Et j’ai reçu des messages disant que si je touchais encore une fois à cette tombe avec mes mains, on me les casserait. »

Istanbul est devenu un « enfer » pour les queers

Quand il est arrivé à Istanbul, en 2015, avant le coup d’État avorté, la ville était « plus libre », se souvient-il. « Je me rappelle qu’en marchant sur Istiklal, j’avais vu pour la première fois des femmes trans. » Aujourd’hui, explique-t-il, elles ont été repoussées plus loin. « Neuf ans plus tard, je considère Istanbul comme un enfer pour une personne queer. Les élections, pour nous, étaient un dernier espoir. »

Il n’a pas écouté le discours de la victoire au cours voulu de Recep Tayyip Erdogan a fait huer les LGBT, mais il voudrait lui rappeler ses propos de 2002 quand il assurait qu’il devait garantir les droits des minorités sexuelles. Un discours qui n’est pas innocent. « Imaginez que vous avez un père homophobe avec un enfant gay. Il est évident qu’il ne peut pas y avoir de paix familiale. Tayyip Erdogan est aussi le commandant d’une grande armée et l’année dernière, pendant la Pride, plus de 300 personnes ont été arrêtées et plus d’une centaine ont subi des violences policières. Si Tayyip Erdogan n’était pas homophobe, s’il s’exprimait avec modération sur ces sujets, bien sûr qu’on ne subirait pas ces violences, on n’en serait pas là… »

Bien sûr, Emin a « peur ». Peur qu’un parti considéré comme « islamiste radical », Hüda Par – la vitrine politique du Hezbollah turc – soit désormais au Parlement. Il a mis en garde l’Union européenne contre les tentations de compromission. Partir, il y songe, comme beaucoup de LGBT+. Il a fait son passeport et projette de postuler un doctorat dans plusieurs pays étranger. « Je ne peux pas imaginer vivre dans un pays où je ne pourrais pas lire les tombes en ottoman, parce que je suis queer. »

>> À lire aussi : Turquie : « Le pouvoir a commencé à s’attaquer aux lignes rouges de la communauté LGBT+

Bibliographie :

Affaires sensibles.,Redirection vers la fiche de présentation de cet ouvrage.

La République abîmée. Dix affaires qui ont ébranlé la France.,Présentation de l’ouvrage. Disponible chez votre libraire.

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