Dans l’Allier, des nouveaux pauvres poussent la porte des associations à cause de l’inflation

«Aujourd’hui, on n’a plus le droit ni d’avoir faim, ni d’avoir froid » chantaient les Enfoirés en 1986. Avec Coluche en chef d’orchestre, c’était leur premier tour de chant. Ce ne sera pas le dernier.  37 ans après, il y aurait de quoi déchanter : des gens ont encore faim, ont encore froid. La co-responsable des Restaurants du coeur de Moulins estime que la situation aurait tendance à empirer : « Aujourd’hui, malheureusement, de plus en plus de personnes sont exposées à la précarité », soupire Christine Ramillien.

En 2023, cette bénévole de longue date est plus que jamais dans le combat. Avec un constat : l’explosion des coûts de l’énergie est l’un des éléments de situations sociales hautement inflammables. L’un des autres ingrédients principaux de cette chute vertigineuse vers la pauvreté : « L’augmentation des prix de la nourriture. Des gens n’y arrivent plus ». 

Ce cocktail explosif draine un public toujours plus large vers l’aide alimentaire :

Pas mal de ménages sont obligés de faire des choix cornéliens, expose Christine Ramillien. C’est soit se chauffer, soit manger : ils ne peuvent pas tout payer. Depuis quelques mois, lors des distributions, on voit des personnes que nous n’avions pas l’habitude de voir. Notamment des actifs avec des petits salaires, des couples de retraités avec des petites pensions. Ou des jeunes mères célibataires avec des bébés.  

Les bénévoles des Restos du coeur dans l’action. Les distributions sont cet hiver en forte hausse
« Si nous n’étions pas là, des gens ne mangeraient pas à leur faim »

Dans cette guerre contre « la misère », les Restos sont en première ligne  : « Oui, c’est la misère, il n’y a pas d’autre mot, insiste Christine Ramillien. Si nous n’étions pas là, des gens ne mangeraient pas à leur faim. De plus en plus d’habitants traversent des situations de pauvreté. L’accès à une aide des Restos se fait sous conditions de ressources. Donc, en épluchant leur situation sociale, on s’aperçoit parfaitement que beaucoup de gens ont de moins en moins de moyens». 

Mal-logement : les Restos du Coeur lancent les Toits du Coeur dans l’Allier

A Moulins, résultat des courses : des habitants n’ont plus assez d’argent pour faire leurs courses. Mécaniquement, l’activité de l’association ne connait aucune déflation. Au contraire, son action auprès des plus démunis est en train de battre un triste record :

On est sur des bases très élevées, appuie Christine Ramillien. L’an dernier, sur l’ensemble de la campagne d’hiver, on avait servi 2.130 repas à 189 familles. Là, nous en sommes déjà à 2.868 repas pour 206 familles. Et c’est très loin d’être fini puisque notre actuelle campagne d’hiver ne s’achèvera qu’en mars. Chaque semaine, les inscriptions continuent à affluer à un rythme soutenu. 

« En épuchant leur situation social, on voit bien que les gens ont de moins en moins les moyens »
Selon la responsables des Restos moulinois, c’est souvent  la conséquence de trois facteurs cumulés  : de faibles ressources financières, un logement mal isolé et des prix élevés de l’énergie : « Pourtant, on voit bien  que les gens essaient au maximum de faire des économies en gaz, en électricité, souligne-t-elle. Beaucoup se chauffent moins, voire presque plus. On a d’ailleurs de nombreuses demandes pour des couvertures et des vêtements chauds ». 

Alors, certes, le gouvernement va prolonger le bouclier tarifaire en 2023, une protection qui limitera la hausse du prix du gaz et de l’électricité à 15%. Mais la facture continuera tout de même à peser plus lourd dans le budget des ménages. A commencer chez les plus précaires pour lesquels un sou est un sou et qui soupèsent chaque poste de dépenses au centime près. 

Chaque semaine, les inscriptions affluent « à un rythme soutenu ». 

« Avec 5 euros par jour, les gens ne peuvent pas vivre »

Avec environ 3.600 bénéficiaires en 2022, le Secours catholique de l’Allier n’a pas reçu beaucoup plus de monde qu’en 2021. En revanche, l’association confirme, elle aussi, que les profils évoluent : « Le nombre des mamans seules avec enfants à charge et le nombre des hommes seuls âgés d’une vingtaine d’années augmentent, confie Frédéric Cottin, son délégué départemental.  

Une crise s’est superposée à une autre, analyse-t-il. En laissant sur le carreau des nouveaux pauvres :

Il y a des gens qui, depuis la crise sanitaire, ont basculé dans la précarité ou dans la pauvreté, souligne Frédéric Cottin. Avant la crise sanitaire, ils travaillaient. Leur emploi était souvent précaire mais il leur assurait un petit revenu. Depuis la crise, ils ont perdu leur travail ou n’ont plus de travail régulier. Du coup, leur situation est devenue très compliquée. D’autant plus que la crise énergétique vient actuellement se surajouter à leurs difficultés. 

Les revenus des bénéficiaires du Secours catholique de l’Allier, tout type de revenus confondus, correspondent à 60 % du revenu médian en France : « Deux tiers des personnes que nous accueillons sont même sous les 40 % du revenu médian : elles sont en situation d’extrême pauvreté, assène Frédéric Cottin. Ça veut dire que chaque euro est compté et qu’une fois qu’elles ont enlevé toutes les dépenses contraintes – loyer, factures, assurances, etc. – leur budget est de 5 euros par jour et par personne. Avec 5 € pour manger et assurer l’essentiel, les gens ne peuvent pas vivre  ».

Opération soupe roulante du Secours catholique sur le marché de Moulins pour récolter des fonds 

Qu’est-ce qu’une « aide alimentaire efficace », selon le Secours catholique de l’Allier ?

Une revalorisation des minima sociaux. C’est l’une des réclamations du Secours catholique à l’Etat :  « Nous constatons que les minima sociaux comblent un peu les difficultés des personnes, mais que si elles ont le moindre pépin -une voiture ou un appareil électro-ménager qui lâchent, par exemple, elles se retrouvent immédiatement en très grande difficulté. Elles sont alors contraintes de choisir ce qu’elles vont payer au cours du mois : la nourriture?? Le loyer?? La voiture à réparer au risque, sinon, de perdre leur travail??  En augmentant un peu les minima sociaux et en les complétant par un accompagnement social, on peut limiter ces difficultés et on permet aux gens de faire face à des coups durs dans leur vie».

Augmentation des travailleurs pauvres au Secours populaire :  « On ne pourra pas constamment se substituer à l’Etat »

Avec l’inflation des prix, les rangs des 4.500 bénéficiaires du Secours populaire de l’Allier ont grossi. Interview de sa secrétaire générale, Françoise Vis.

L’inflation des prix de l’énergie et de l’alimentation a-t-elle amené de nouveaux bénéficiaires au Secours populaire ?

Oui, les demandes sont en constante hausse, avec davantage de personnes qui viennent non seulement pour une aide alimentaire mais aussi à cause d’une précarité énergétique : elles ne peuvent plus honorer leurs factures qui ont augmenté considérablement. Dans certaines familles, il faut choisir entre se chauffer et manger. Nous sommes là pour les aider en leur distribuant des colis alimentaires, en payant une partie de certaines factures… Mais nous ne pourrons pas éternellement continuer à faire face et à nous substituer constamment à l’Etat.

Françoise Vis, bénévole et secrétaire générale du Secours populaire de l’Allier 

Vous trouvez qu’il se repose trop sur des associations comme la vôtre ?

Durant le Covid, nous avons eu 27 % de bénéficiaires de plus. Sur ces 27 %, 10 % bénéficient toujours, aujourd’hui, de notre aide. Et encore 10 % supplémentaires d’inscrits sont venus s’ajouter depuis octobre 2022 à cause de l’inflation alimentaire et énergétique. Ces personnes cochent toutes les cases dans lesquelles nous pouvons les aider : l’alimentation, le logement, la santé… Il faut savoir que la précarité énergétique entraîne bien souvent des répercussions sur leur bien-être. Les gens ne se chauffent pas. Quand on dit “il faut se chauffer à 19 degrés”, c’est bien beau, mais ils n’y arrivent pas !

Y’a t-il de nouveaux profils de bénéficiaires depuis quelques mois ?

Oui, notamment ceux que nous appelons les travailleurs pauvres. Ils ont un travail mais ils n’arrivent plus à boucler les fins de mois. Ils sont en extrême difficulté. D’autant plus que nous sommes dans un département où il est important d’avoir un véhicule. Là aussi, l’augmentation du prix des carburants fait que ces personnes ne peuvent plus se déplacer autant.

Le Secours populaire de l’Allier repose sur 456 bénévoles et 13 antennes réparties sur tout le territoire
Cette inflation a-t-elle aussi des répercussions sur le fonctionnement du Secours populaire ?

Oui, nous avons des frigos et des chambres froides à faire fonctionner : il y a un surcoût. Un surcoût également sur nos véhicules car nous faisons beaucoup de livraisons. Notre budget souffre. Dans ce domaine, pour le moment, nous ne sommes pas franchement aidés par l’Etat. En tant qu’association, nous avons fait une demande pour bénéficier du bouclier tarifaire, mais il faut répondre à certains critères. Nous attendons la réponse.

Globalement, qu’attendez-vous de l’Etat ?

On ne peut pas tout  attendre de l’Etat et, au Secours populaire, nous prenons les choses en main. Le problème, c’est que nos finances reposent essentiellement sur les dons des particuliers. Mais comme ils sont également en difficulté, on a beaucoup moins de dons. Nous ne faisons pas de politique, nous sommes apolitiques. Mais, quand même, nous pensons qu’il faudrait une autre politique. Et réfléchir, peut-être, à une sortie du marché européen de l’énergie.

Une mère et sa fille aux Restos du coeur : « On n’arrive plus à tout payer »

Comme tout le monde, il arrive à Floriane de rêver sa vie. Tout simplement : « Me marier, avoir des enfants, créer mon propre food-truck, gagner assez d’argent pour bien vivre ».

Mais, pour le moment, c’est loin d’être la vie de rêve pour cette jeune bénéficiaire des Restos du cœur. Cet hiver, pour la première fois, Floriane a poussé seule (1) la porte de l’association fondée par Coluche. Avec comme seule ressource les 900 euros que lui assure son allocation adulte handicapé, la Moulinoise n’arrive plus à boucler ses fins de mois : « Je suis actuellement en formation. J’étais déjà très juste financièrement. Avec la hausse des prix, je n’arrive plus à m’en sortir. Après avoir payé mon loyer et mes charges fixes, il ne me reste pratiquement plus rien ». Ce jour-là, Floriane n’est pas venue toute seule aux Restos.

Le portrait de Coluche s’affiche aux murs. 37 ans après sa création, son association est plus indispensable que jamais 
Cabas à la main, il y a Christelle, sa maman. Elle aussi dans « la difficulté » à cause de l’inflation : « J’ai du mal à payer ma nourriture, mes factures ».

Christelle travaille comme agent d’entretien. De façon épisodique : « Je fais des ménages en remplacement ». Jusqu’à présent, cette activité partielle, couplée à une partie des minima sociaux, lui permettait de faire face « avec 700 à 800 euros mensuels ». Cela faisait trois ans que Christelle n’était pas revenue aux Restos : « Mais, là, je n’ai pas eu le choix. Tout coûte plus cher. Trop cher. Il y a les coûts de l’énergie. Mais aussi la nourriture. Il y a encore quelques mois, avec cinquante euros, j’arrivais à remplir un chariot de courses. Désormais, j’arrive à peine à un demi », explique-t-elle sous le regard de Coluche.

Le portrait de l’humoriste s’affiche sur les murs des Restos. Il ne l’aurait sans doute pas souhaité. 38 ans après sa création, son association est plus indispensable que jamais.  

(*) Floriane était déjà venue aux Restos il y a quelques années avec sa mère.

Reportage Antoine Delacou 

Photos Corentin Garault et Séverine Trémodeux 

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